jeudi 13 mai 2010

NUCLEAIRE CIVIL ET ENVIRONNEMENT?

Antonio FISCHETTI* nous raconte ce qui n'a pas été débattu lors du « Grenelle de l'environnement »,

"le GRENELLE"si cher à nos hommes politiques du moment.

Et ce qui par suite ne sera pas abordé par le

« Grenelle II de l'environnement »!

Il raconte le centre d'enfouissement de nos déchets nucléaires et l'univers de prévarication qui sévit toujours lorsqu'il s'agit d'endormir les payeurs (vous et moi).

*Antonio FISCHETTI est un journaliste, Docteur ès sciences, maître de conférences, il a enseigné au Conservatoire national des arts et métiers, ainsi qu'à des élèves ingénieurs du son au CNSMDP[5] et dans des écoles de cinéma telles que l'École Louis-Lumière ou la Fémis.

Le centre d'enfouissement des déchets du nucléaire civil

Le sol est encore marqué par les traces de la guerre de 14-18.

Le ciel est strié par les Rafales de la base militaire de Saint Dizier. Et dans ce sous sol, bientôt des déchets radioactifs.

Ne Voyez pas là un dénigrement de la Meuse, très joli département au demeurant.. En tous cas très calme, avec sept habitants au km². C’est d’ailleurs une des raisons qui l’ont fait choisir pour stocker les déchets radioactifs des centrales nucléaires. Une autre raison, c'est Le sous-sol, bien étanche et bien stable à ce qu'il paraît. En tout cas, il a intérêt à l’être pour les prochains 100 000 ans durée de dangerosité des déchets radioactifs. Pour avoir une idée, sachez qu'il y a 100 000 ans , c’était le paléolithique, et nos ancêtres n’avaient même pas inventé l’outil en os et la peinture rupestre. Alors imaginez L'humanité dans 100 millénaires ! Du retour à la préhistoire à l’immortalité biotech, tous les scénarii sont possibles. La seule chose dont on peut être certain, c’est que les déchets nucléaires auront été oubliés depuis longtemps,

DE BELLES CENTRALES, MAIS PAS DE VIDE ORDURES

Petit voyage en ascenseur, pendant cinq minutes, dans un trou profond de plus de 450m, une fois et demie La hauteur de La tour

Eiffel. Et nous voila au milieu de La couche d'argile qui va servir de « coffre-fort géologique» aux déchets. On l'appelle argile, mais n'imaginez pas de La terre glaise. C'est de La roche bien dure.

« Cette roche date de 160 millions d’années, elle n’a pas bougé depuis 60 millions d’années, et elle ne va pas bouger dans Ie million d'années qui vient », affirme Jacques Delay, géologue de l'Agence nationale pour La gestion des déchets radioactifs (ANORA) et responsable des expérimentations sur Le site. L’objet de toutes Les attentions, c’est Lui : un simple cylindre de métal, cercueil incandescent bourre de déchets nucléaires et enfonce dans La roche avec des centaines d'autres.

La première chose qu'on se dit en Le voyant, c'est que ce tube d'acier va bien rouiller un jour. De fait, Jacques Delay confirme: «On part du principe que dans mille ans il y aura rupture du confinement de l’acier et que Ie verre sera dissous. » Des Lors, La seule protection du colis nucléaire sera La roche. Et c’est La que Les choses se compliquent.

LA TERRE C0MME EMBALLAGE-CADEAU

La vie d'un colis nucléaire est tout sauf calme. Les déchets de haute activité vont d'abord chauffer La roche a 90 degrés pendant une dizaine de milliers d'années. Des gaz de corrosion seront également dégagés.

Ce qu'on peut craindre évidemment, ce sont Les infiltrations d'eau. On s'attend a ce que L'ANDRA nous jure que L'argile est parfaitement sèche. Mais au contraire, il y a des millions de litres d'eau autour de nous! Cette flotte va donc être contaminée et se retrouver dans l’environnement? se contaminer, oui, mais elle va rester sur place, répond L'ANDRA. Car L'eau, comme piégée ici, parcourt quelques centimètres en 10 000 ans. La goutte qui suinte de La roche et, sous nos yeux, tombe dans un bidon, cette goutte a 20 millions d'années d'âge.

Mais Les particules radioactives, elles, vont-elles rester aussi sagement dans La roche? Bien sur que non, et les ingénieurs savent qu'elles vont migrer plus vite que l'eau. Sauf que ce sera toujours assez Lentement pour ne présenter aucun risque, toujours selon Patrick Delay: « On a calculé que la première particule de déchet radioactif sortira dans 300000 ans. »Autrement dit, elle aura perdu sa dangerosité. L'ANDRA jure donc avoir pensé à tout. Et même aux futures glaciations que subira La Terre. «1/ y en a eu une il y a 18000 ans, et il y aura a coup sûr d'autres glaciations. Dans ce cas, le sol gèlera jusqu'à 150 m de profondeur, ce qui augmentera sa porosité, mais comme nous sommes à 500 m nous ne serons pas affectés par ce problème. » Assurément, L'ANDRA a pense a tout... Mais on se doute qu'il en faut plus pour rassurer Les opposants au site de stockage.

EXTRAPOLER OU DELIRER?

Pour Michel Marie, porte-parole du Collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs, Les risques sont nombreux: séismes, fragilisation de La roche par Les creusements de galeries, failles révélées par La présence de radon, et sources géothermiques que la Loi Interdit de mettre en péril. Point par point, L'ANDRA dément: Les séismes n'affectent pas La couche d'argile, Les éventuels affaissements seront inoffensifs, Le radon provient de La surface et ne reflète aucun signe de faille, et Les ressources géothermiques n'ont pas le caractère « exceptionnel » qui en ferait un obstacle au stockage. A partir de là, faut-il croire l'ANDRA ou partager Les craintes des opposants? Réponse dans quelques millénaires.

Personnellement, ce qui attise Le plus mon scepticisme, ce sont les modèles de prédictions de l'ANDRA. Qu'il s'agisse de La détérioration des emballages, de La diffusion des particules ou de [' effet de La chaleur sur La roche, Les scientifiques font leurs expériences sur une durée maximale de quatre ou cinq ans. Et c’est de là qu'ils déduisent ce qui va se passer dans 100 000 ans. Alors je veux bien que les modèles mathématiques soient très perfectionnés, mais tout de même, tant d'assurance dans l'extrapolation Laisse songeur.

Et puis, sans mettre en doute ni La bonne foi ni La compétence des géologues de ['ANDRA [qui ne sont pas tous d'ignobles serviteurs achetés par Le techno-pouvoir, l'histoire de l'énergie nucléaire nous a appris La méfiance. Tant de bobards nous ont été servis avec La plus grande assurance!

Sans La méfiance citoyenne, que deviendraient les déchets? Pour sûr, on Les balancerait encore dans La mer comme dans Les années 1960, et comme continue de le faire La Mafia italienne. La vigilance citoyenne ne stoppe pas La radioactivite, mais elle peut limiter Les conneries, A ceci prés qu'une vigilance citoyenne sur 100000 ans, ça va être dur a tenir.

Pour 100 000 ans

Le maire de Houdelaincourt (55), ancien militaire de carrière, n'est pas

contre, mais s'interroge:

QUAND JE VOIS L'ETAT DE DEGRADATION DU BETON ARME DE LA LIGNE MAGINOT 70 ANS APRES, JE NE SAIS PAS COMMENT ILS VONT FAIRE ICI, ••

ET DES TONNES D'EUROS POUR AMADOUER LES HOMMES

L'omerta, Ie secret-défense, les mensonges, Ie nucléaire nous y a habitués. Mais aujourd'hui ce n'est plus

vendeur. La tendance est à la transparence, la com', l'écologie et Ie principe de précaution. D' ou la création, autour du laboratoire de Bure, d'un « Comite local d'information et de suivi » [CLlS), qui réunit élus, personnalités et représentants d'associations. Son objectif: suivre les dossiers, informer et commander des contre-expertises.

La démocratie en action, donc? ça y ressemblerait presque, si Ie CLIS ne venait pas de prendre une belle claque. En mars dernier, l'AN­DRA a proposé une zone d'intérêt pour la recherche approfondie [ZIRA), ou seront peaufinées les recherches sur l'emplacement exact du site de stockage. Le gouvernement aurait évidemment dû attendre l'avis du CLIS. Mais celui-ci ayant besoin de délais pour donner son avis, Ie gouvernement a donne Ie feu vert à l'ANDRA en passant outre. Ce qui a conduit Jean-Louis Canova, président du CLlS, à se demander s'il ne présidait pas un « comité fantoche » dont « les gentils membres, quel que soit leur avis, peuvent toujours brailler dans Ie désert ». Bref, en théorie, tout va bien, car Ie CLIS peut commander des contre-expertises, C'est en pratique que ça coince toujours, car « lorsqu’on demande des données à l'ANDRA, on les obtient l’année suivante » , regrette Robert FERNBACH, maire du village d’Houdelaincourt .

Le mariage du nucléaire et de la démocratie, on veut bien y croire, mais il y a encore du boulot pour transformer les apparences en réalité

LE NUCLEAIRE : DIX ANS D'ACTIVITE POUR

MILLE SIECLES D'AGONIE

Le site de Bure est un Laboratoire. II permet de réaliser des expériences qui serviront a définir Les conditions de stockage des déchets de moyenne et haute activité. Actuellement, ces déchets sont entreposés sur Les sites nucléaires, comme a La Hague ou Marcoule.

ils sont de deux types:

Les déchets de « moyenne activité a vie Longue» (MAVL),

et ceux de « haute activite a vie Longue» (HAVL).

L:ANDRA denombre 120000 m3 des premiers (environ Le volume d'une quarantaine de piscines olympiques), et 6000 m3 des seconds (un terrain de foot sur une epaisseur d'une douzaine de mères). Mais comme on ne peut pas entasser Les colis Les uns sur Les autres (a cause de La chaleur qu'ils dégagent),

bonheur des Elus. Avec la part qui lui revient, Robert Fernbach ne se cache pas de planifier « les travaux d'assainissement en dix ans, alors qu'autrement cela aurait mis 25 ans et en doublant les impôts ». Le problème avec l'argent, c'est qu'il fait toujours des jaloux. Chaque commune veut sa part du gâteau, et pour ne froisser personne, l'ANDRA joue finement. Par exemple en installant, alors que Ie stockage souterrain sera dans la Meuse, des entrées de puits en Haute-Marne: une astuce pour ne pas exclure ce département de la course aux subventions. Surtout ne pas se faire d’ennemis au village.

A l’accompagnement »sonnant et trébuchant s’ajoutent les investissements imposés par la Loi.

Dans ce cadre EDF va construire un bâtiment d’archives et Ie CEA une usine expérimentale de biomasse. Ces organismes se retrouvent donc à débourser, en tant que pollueurs-payeurs, une somme d'argent qu'ils récupèrent en partie en tant qu'investisseurs. Bien joue, non?

Pour mettre de l’huile dans les rapports humains, ce qu'il y a de mieux, c'est encore le fric. Chaque département concerné, Meuse et Haute-Marne, reçoit de la part des producteurs de déchets (EDF, CEA et Aréva) 30 millions d'euros par an, une somme joliment qualifiée d'« accompagnement », et qui fait le bonheur des élus , or leI stockage souterrain sera dans la Meuse, des entrées de puits en Haute-Marne: une astuce pour ne pas exclure ce départment de la course aux subventions. Surtout, ne pas se faire d'ennemis au village.

A l' « accompagnement » sonnant et trébuchant s'ajoutent les investissements imposés par la loi. Dans ce cadre, EDF va construire un Au milieu de nulle part: EDF édifie un bâtiment destiné à accueillir ses archives.

POURTANT ON PEUT PENSER QUE « MANGER TOUS LES JOURS DE LA LANGOUSTE »(ndlr) FINIT PAR LASSER

Mais pour autant, la manne financière ne suffit pas à endormir totalement les consciences. La preuve: quand on a sollicite les municipalités pour accueillir, en plus du laboratoire existant et du site de stockage déjà prévu, un troisième site a 200 m de profondeur pour les déchets de « faible activité a vie longue» (FAVU, tout le monde a dit assez! En première ligne, Marcel et Danielle, couple antinucléaire: « Nous avons appris par la presse que la municipalité de notre village acceptait d'accueillir les FAVL. Alors on a mobilise tous les habitants, Ie conseil municipal a décidé de revoter, et cette fois les déchets ont été refusés. »

Et partout, ce fut le même tollé. It faut dire que le département voisin de l'Aube héberge déjà le site de Soulaine, destiné aux déchets radioactifs de faible activité.

« Sous prétexte que la population a été amadouée, on a essaye d'en remettre une couche. Cette attitude de I'ANDRA m'a révolté », renchérit Robert Fern­bach. Eh oui, les déchets s'empilent dans les centrales et l’ANDRA est au taquet: tu lui donnes la main, elle te bouffe le bras!

"Au final, si on compte tous les emmerde­ments que poseront les déchets pendant les siècles à venir, il serait temps de refaire les calculs de rentabilité: cela ne m'étonnerait pas que l’énergie nucléaire finisse par compter à elle seule bien plus que ce qu'il faudrait dépenser pour rendre les énergies renouvelables accessibles et bon marche." A. F.

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